Probus d’Antioche (prêtre et traducteur syriaque, Ve–VIe siècle)

   Probus d’Antioche (prêtre et traducteur syriaque, Ve–VIe siècle)




Probus (en syriaque Prōbā, « Proba ») est une figure presque énigmatique de la littérature scientifique syriaque. Il est mentionné comme archidiacre et archiâtre (médecin en chef) de l’Église d’Antioche et reconnu pour ses traductions et commentaires de textes philosophiques grecs vers le syriaque​Les sources tardives – notamment le catalogue des auteurs syriens d’ʿAbdishoʿ de Soba (mort en 1318) – situent traditionnellement Probus au Ve siècle, contemporain d’Ibas de Sînim (†457) et du traducteur . Cependant, les recherches modernes (Hugonnard-Roche, Brock) concluent qu’il a probablement vécu au VIe siècle, vers la seconde moitié du VI

Dans les manuscrits conservés, Probus apparaît comme « presbyter, archidiacon et archiater in Antiochien » (c’est-à-dire prêtre, archidiacre et médecin-chef à Antioche)​. Cette mention se trouve notamment dans le codex de Berlin (Sachau 226, s. VI/VII ou plus tard), qui attribue à Probus plusieurs commentaires logiques. Elle confirme son statut clérical et son siège à Antioche. Hormis ces rares témoignages indirects (catalogues d’auteurs, références patristiques), aucune biographie contemporaine ne le décrit en détail. Les érudits du XIXᵉ siècle, comme W. Wright, ont reconstitué son portrait à partir de ces indices fragmentaires​

Œuvres et traductions attribuées

Les œuvres connues de Probus sont exclusivement des traductions ou commentaires philosophiques d’origine grecque, conservés (souvent de manière fragmentaire) dans des manuscrits syriaques. Les travaux suivants lui sont attribués :

  • Commentaire syriaque de l’Isagoge de Porphyre – Le manuscrit de Berlin (Sachau 226) contient une traduction/commentaire de l’Isagoge par « Probus », qualifié de « Presbyter, Archidiacon, und Archiater in Antiochien »​ Ce commentaire sur le texte introductif au corpus aristotélicien de logique atteste la maîtrise de Probus des notions logiques grecques.

  • Explications des Analytica (Aristote) – Dans le même codex, on trouve une « Erklärung der Analytica von Probus » (explication des livres analytiques d’Aristote), avec une introduction également rédigée par Probus​ Il s’agit sans doute des Premiers et/ou Secondes Analytiques, que Probus présente et commente en syriaque.

  • Traité sur les Premiers Analytiques – Une édition moderne établie par H. Hugonnard-Roche (2017) a révélé un commentaire syriaque des Premiers Analytiques attribué à Probus (archiâtre et archidiacre d’Antioche). L’introduction de cet ouvrage indique clairement que l’auteur est Probus et situe sa rédaction « probablement dans la seconde moitié du VIᵉ siècle »​academia.edu. Ce texte est un manuel logique, calqué sur des commentaires grecs (Ammonius, Philopon) et constitue la première partie d’un cours philosophique.

  • Commentaire du Peri hermēneias (De l’interprétation) – Wright (1894) rapporte que Probus « translated and commented on the De Interpretatione » d’Aristote​upload.wikimedia.org. La mention est concise, mais elle signifie que Probus a traduit du grec au syriaque ce traité fondamental de logique (et l’a peut-être annoté).

  • Autres corpus aristotéliciens (porphyriens) – Par analogie avec l’Isagoge et les Analytiques, on suppose que Probus a pu traiter d’autres parties de l’Organon (les textes logiques d’Aristote). Wright suggère qu’il « probably treated in a similar manner other parts of the Organon »​upload.wikimedia.org. Des fragments analogues (commentaires de la Catégories, traduction des Catégories elles-mêmes) sont connus chez ses contemporains, ce qui milite pour une production de Probus centrée sur la logique.

En somme, Probus fut un commentateur-logicien : ses ouvrages servaient de manuel dans l’enseignement aristotélicien en syriaque. Ils ne semblent pas porter sur la théologie du Christ, mais plutôt sur la logique formelle, utile pour la formulation doctrine chrétienne.

Contexte historique et intellectuel

Antioche au Ve–VIe siècle était un grand centre intellectuel chrétien, notamment célèbre pour son école théologique qui privilégiait l’exégèse littérale (Théodore de Mopsueste, Diodore, etc.). Les débats christologiques (conciles d’Éphèse 431, de Chalcédoine 451, puis les schismes nestorien et monophysite) ont profondément divisé l’Église d’Antioche, mais ils ont aussi incité à la formation doctrinale. Probus – qu’on sait natif d’Antioche – évoluait dans ce milieu clérical tourmenté. Il est précisément cité comme traducteur avec Ibas de Séleucie (nestorien, †457) et Kumi (traducteur) dans la liste d’ʿAbdishoʿ​, ce qui suggérait jadis qu’il était un Nestorien du Ve siècle. Toutefois, la nature même de ses travaux (philosophie logique) indique une vocation plutôt pédagogique que polémique. Il n’existe pas de témoignage direct de son allégeance doctrinale.

Sur le plan scientifique, Probus s’inscrit dans un mouvement plus large de transmission du savoir grec vers l’Orient chrétien. Comme le souligne Hugonnard-Roche, « c’est au début du VIe siècle que surgissent en syriaque les premières œuvres basées sur les textes aristotéliciens »​ En particulier, ce sont alors les premières traductions syriaques des traités logiques d’Aristote et de Porphyre – les Catégories et l’Isagoge – ainsi que des commentaires associés. Par exemple, Sergius de Reshʿaina (mort en 536) étudia à Alexandrie et traduisit les Catégories et l’Isagoge, contribuant « largement à la diffusion du savoir grec en syriaque »​. Probus opère dans la foulée de ce mouvement : son travail de traduction/commentaire sur les textes aristotéliciens fait de lui l’un des pionniers de la logique grecque en milieu syriaque. Ces traductions syriaques allaient plus tard servir de base pour la transmission des sciences grecques aux savants arabes.

Ainsi, même si Probus se manifeste surtout par des textes de logique, son rôle s’inscrit dans le vaste courant syro-byzantin de traductions scientifiques. Il fait écho à d’autres clercs traducteurs (l’évêque Sévère Sebokht au VIIe s., par ex., ou les médecins-chrétiens syriaques au début du Moyen Âge) qui ont assuré le lien entre Grèce et Orient​ En particulier, des prêtres chrétiens, comme Sergius (†536) puis plus tard Yūsuf al-Qass (fin IXᵉ s.), jouèrent un rôle analogue lors de la grande époque de la traduction arabo-islamiques.

Sources et interprétation critique

Les sources sur Probus sont rares et tardives. La principale mention biobibliographique est celle du catalogue d’ʿAbdishoʿ de Soba (fin XIIIᵉ s.), qui regroupe les auteurs syriaques et attribue à Probus des traductions du grec​upload.wikimedia.org. Ce texte placé Probus parmi les traducteurs contemporains d’Ibas (⇢†457) et Kumi (†489), laissant penser à une datation au Ve siècle. Or ce catalogue est hagiographique et postérieur de plusieurs siècles, de portée symbolique plus que strictement historique.

Le corpus manuscrit directement lié à Probus est très limité. Le codex Berlin Sachau 226 (VIIIᵉ s.) nous est le plus parlant : il nomme expressément Probus comme auteur de plusieurs commentaires logiques sur Porphyre et Aristote​. Cette attribution manuscrite est le seul témoignage concret de ses œuvres. Aucun autre manuscrit plus ancien ne le mentionne. Ainsi, notre connaissance de Probus repose sur ce codex (et quelques manuscrits ultérieurs contenant des extraits attribués) ainsi que sur les notices bibliographiques médiévales.

Les historiens modernes ont analysé ces indices fragmentaires. Wright (1894) a rassemblé les rares mentions existantes pour rédiger la biographie de Probus (dans A Short History of Syriac Literature). Il y note notamment que Probus « translated and commented on the De Interpretatione » d’Aristote​ et qu’il a produit les commentaires mentionnés à Berlin​uToutefois, les travaux ultérieurs (Hugonnard-Roche, Brock) ont remis en question l’ancienne chronologie. En comparant la langue et les sources du commentaire des Premiers Analytiques, Hugonnard-Roche constate que Probus doit plutôt appartenir au VIᵉ siècle. Cette datation est corroborée par l’examen des influences néoplatoniciennes dans le texte. Par exemple, les structures grammaticales et les références à Philopon ou Élie de Nisibe (contemporain présumé) suggèrent un contexte intellectuel postérieur à 550.

Enfin, la question de l’identité même de Probus fait l’objet d’une étude critique. S. P. Brock (2011) a explicitement interrogé la fiabilité des traditions nominatives (Problems of Date and Identity), suggérant qu’il faudrait distinguer le traducteur « Probus » mentionné par Abdishoʿ de l’auteur de commentaires philosophiques eux-mêmes. Malgré cela, l’hypothèse d’un seul Probus, grand traducteur-arborateur à Antioche, reste la plus simple compte tenu des très maigres sources. Les ambiguïtés toponymiques (certains écrits parlent de Probus d’Antioche, d’autres de Chalcédoine) et la propagation du nom Prōbā en syriaque justifient la prudence.

En résumé, notre portrait de Probus reste partiel et hypothétique, construit à partir de silhouettes documentaires : un codex de commentaires, quelques notices médiévales, et des analyses savantes récentes. Il ressort de l’enquête qu’il s’agit d’un prêtre lettré au tournant des Ve–VIe siècles, qui joua un rôle clé dans la diffusion de la logique aristotélicienne en syriaque.

Bibliographie indicative. Les travaux clefs sur Probus sont Wright A Short History of Syriac Literature (1894, et l’étude de Hugonnard-Roche (2017) Le commentaire syriaque de Proba…. Pour le contexte plus large de la traduction syro-byzantine, on consultera Bongianino & al. Why Translate Science? et les analyses de Brock (2011) citées dans Hugonnard-Roche​.

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