Probus d’Antioche : passeur de savoirs entre la Grèce antique et l’Orient syriaque

 

Probus d’Antioche : passeur de savoirs entre la Grèce antique et l’Orient syriaque






Au Ve siècle, la ville d’Antioche (dans l’actuelle Turquie) était un véritable carrefour culturel du monde antique. C’était l’une des métropoles majeures de l’Empire romain d’Orient, réputée pour sa richesse intellectuelle et son cosmopolitisme. On y croisait des populations de langue grecque – la langue officielle de l’Empire – mais aussi des communautés parlant le syriaque (dialecte araméen) enracinées dans la région. Cette dualité linguistique et culturelle faisait d’Antioche un terreau fertile pour la transmission des savoirs. Les connaissances héritées de la Grèce antique y circulaient, portées aussi bien par des philosophes païens que par des érudits chrétiens. C’est dans ce contexte effervescent qu’émerge la figure de Probus d’Antioche, un prêtre passionné de sciences, devenu un acteur clé de la traduction des textes grecs vers le syriaque. Son œuvre de traducteur au tournant des Ve–VIe siècles a joué un rôle crucial pour préserver et transmettre la science grecque – mathématiques, médecine, logique, astronomie, etc. – vers le monde syriaque, puis plus tard vers le monde arabe. Partons à la découverte de ce personnage méconnu, de son contexte historique, et de l’importance intellectuelle de son travail.

Antioche au Ve siècle : un carrefour culturel et intellectuel

Mosaïque de sol représentant un phénix et des roses, réalisée à la fin du Ve siècle dans un faubourg d’Antioche (Daphné). Ce motif de phénix renaissant illustre symboliquement le renouveau culturel de la cité à l’époque où vécut Probuscommons.wikimedia.org. Antioche, surnommée la « Reine de l’Orient », était alors l’une des plus grandes villes du monde méditerranéen. Fondée à l’époque hellénistique, devenue romaine, puis byzantine, la cité abritait une population diverse où cohabitaient traditions grecques et orientales. Son statut de siège patriarcal chrétien et sa situation géographique en faisaient un point de rencontre entre l’Empire romain d’Orient et les contrées syro-mésopotamiennes.

Au Ve siècle, Antioche rayonne par ses écoles et ses lieux de savoir. On y trouve des rhéteurs, philosophes et théologiens renommés. Quelques décennies avant Probus, le célèbre orateur Libanios et l’évêque Jean Chrysostome y enseignaient, témoignant de l’effervescence intellectuelle de la ville. Antioche était également un carrefour commercial sur la route de la soie, ce qui favorisait les échanges d’idées autant que de marchandises. Dans cette atmosphère bouillonnante, la connaissance de la langue grecque ouvrait l’accès à tout le corpus du savoir antique (philosophie d’Aristote et de Platon, médecine d’Hippocrate et Galien, sciences d’Euclide ou Ptolémée), tandis que la langue syriaque était celle des communautés chrétiennes locales, avides d’apprendre et de transmettre ces connaissances dans leur propre idiome. Il n’est donc pas surprenant qu’Antioche ait vu naître des initiatives pour traduire les chefs-d’œuvre grecs en syriaque, afin d’en faire profiter un plus large public en Orient.

Ce contexte explique en partie la vocation de Probus. En pleine Antiquité tardive, alors que l’Empire romain d’Occident s’effondre (avec son lot de pertes culturelles et de bibliothèques détruites), l’Empire d’Orient et les régions syriaques jouent un rôle de refuge pour le savoir ancien. Les érudits chrétiens d’Orient, souvent bilingues, perçoivent l’urgence de préserver la science grecque. Antioche, située non loin de la frontière avec l’Empire perse sassanide, est au cœur d’une zone de contact où les idées voyagent : c’est de là que partira une partie du savoir grec vers l’est, grâce à des traducteurs éclairés comme Probus.

Probus d’Antioche : un prêtre et savant traducteur

La figure de Probus d’Antioche est aujourd’hui peu connue du grand public, et pourtant son profil a de quoi surprendre. Les manuscrits anciens le décrivent comme « prêtre, archidiacre et archiatre d’Antioche »remacle.org. Autrement dit, Probus était à la fois un homme d’Église de haut rang (archidiacre) et le médecin en chef de la cité d’Antioche (archiatre), en plus d’être prêtre. Ce cumul des titres illustre le lien étroit qui pouvait exister, à l’époque, entre foi et savoir : Probus exerçait la médecine tout en servant l’Église, incarnant une sorte de « savant-clerc » capable de soigner les corps et d’instruire les esprits. Passionné par la connaissance, il s’est surtout illustré par ses travaux de traduction et de commentaire des textes scientifiques grecs en syriaque. En un temps où peu de gens maîtrisaient encore le grec dans les communautés syriaques, Probus a fait office de passeur de savoir, mettant son érudition au service de la transmission du patrimoine intellectuel hellénique.

Trois de ses ouvrages, en langue syriaque, nous sont parvenus gedsh.bethmardutho.orggedsh.bethmardutho.org :

  • Un commentaire sur l’Isagogè de Porphyre – l’Isagogè (ou « Introduction ») était un petit manuel de logique aristotélicienne rédigé par Porphyre, un philosophe néoplatonicien du IIIe siècle. Probus en a rédigé une exégèse en syriaque, adaptant les concepts grecs pour un lectorat syriophonegedsh.bethmardutho.org. Cet ouvrage, témoignant d’une solide formation philosophique, faisait le lien entre la tradition logique d’Aristote et le public syriaque du Ve–VIe siècle.

  • Un commentaire du traité De l’Interprétation d’Aristote – il s’agit d’un autre texte fondamental de la logique d’Aristote (Περὶ ἑρμηνείας en grec), traitant du langage et de la signification. Probus a non seulement commenté ce traité en syriaque, mais il est possiblement lui-même le traducteur de la version syriaque du texte d’Aristotegedsh.bethmardutho.org. Autrement dit, il aurait traduit du grec vers le syriaque le De l’Interprétation, puis en aurait fourni un commentaire pour l’expliquer. Dans certains manuscrits syriens, la traduction est attribuée explicitement à Probus.

  • Un commentaire sur les Premiers Analytiques d’Aristote – les Premiers Analytiques sont un traité d’Aristote sur les syllogismes, cœur de la logique formelle. Probus en a rédigé un commentaire en syriaquegedsh.bethmardutho.org, faisant probablement office de manuel scolaire pour enseigner l’art du raisonnement démonstratif aux étudiants syriaques. Ce commentaire, composé sans doute vers la fin du VIe siècle, montre l’ampleur de son engagement dans la diffusion de la logique aristotélicienne.

À ces œuvres de commentaire s’ajoute un trait intéressant du personnage : Probus ne s’est pas cantonné à la philosophie. Son intérêt pour les sciences au sens large transparaît dans une anecdote remarquable : il aurait proposé une amélioration du système de numération utilisé en syriaquegedsh.bethmardutho.org. À l’époque, les chiffres tels que nous les connaissons n’existaient pas encore dans cette culture : on utilisait les lettres de l’alphabet comme chiffres (un peu comme les chiffres romains utilisent des lettres). Probus, décrit dans un manuscrit comme « philosophe », aurait élaboré une sorte de système numérique optimisé, utilisant toujours les lettres mais de manière plus efficacegedsh.bethmardutho.org. Même si ce projet de réforme de la numération n’eut pas la postérité des chiffres indo-arabes, il témoigne de son esprit inventif et de son goût pour les mathématiques. On peut imaginer Probus, plume à la main, cherchant à faciliter les calculs pour ses contemporains – une préoccupation bien scientifique pour un homme d’Église !

En résumé, Probus d’Antioche apparaît comme un savant polyvalent : théologien et médecin de formation, traducteur et pédagogue par vocation. Son domaine de prédilection restait la logique et la philosophie aristotélicienne (fondement du savoir rationnel à l’époque), mais son action s’inscrivait dans un mouvement plus large de transmission de toutes les sciences grecques vers le monde syriaque. Pourquoi une telle entreprise de traduction ? Quelles en étaient les motivations et les implications ? C’est ce que nous allons explorer.

Traduire le savoir grec en syriaque : un enjeu majeur

Au lendemain de l’Antiquité classique, la survie et la transmission du savoir grec se jouent en grande partie dans l’Orient chrétien. En effet, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas tant via les lettrés byzantins que la science grecque a voyagé, mais bien grâce aux érudits juifs et chrétiens de l’Orient syriaque, qui ont entrepris dès le Ve–VIe siècle un immense travail de traductionfr.wikipedia.org. En clair, la riche moisson des connaissances grecques – philosophie, médecine, astronomie, etc. – a été récoltée et mise en réserve dans des bibliothèques syriaques. Probus d’Antioche s’inscrit justement parmi ces pionniers qui ont consacré leur vie à traduire les trésors de l’Antiquité pour les mettre à la portée de nouveaux publics.

Plusieurs facteurs motivaient ces traductions en langue syriaque. D’une part, le syriaque était la langue intellectuelle et religieuse de nombreuses communautés chrétiennes au Proche-Orient (notamment l’Église syriaque orientale dite « nestorienne » et l’Église syriaque occidentale jacobite). Pour former leurs clergés et élites, ces communautés avaient besoin d’accéder aux traités scientifiques et philosophiques écrits en grec. Traduire en syriaque permettait donc de s’approprier le savoir grec et de l’enseigner plus largement dans les écoles monastiques et les centres d’étude de Mésopotamie et de Syrie. D’autre part, les conflits théologiques de l’époque (par exemple les querelles autour du concile de Chalcédoine en 451) ont conduit à une certaine séparation culturelle : de nombreux savants chrétiens orientaux se sont retrouvés en dehors de l’Empire byzantin, ou en marge de celui-ci, et ont dû développer une vie intellectuelle autonome dans leur propre langue. La traduction fut un moyen de préserver les sciences païennes et de les intégrer au patrimoine culturel chrétien oriental, au lieu de les laisser se perdre ou d’en dépendre uniquement via le grec.

L’initiative de Probus n’était donc pas isolée. Parmi ses contemporains et successeurs engagés dans cette “aventure de la traduction”, on compte plusieurs figures notables fr.wikipedia.org :

  • Sergius de Resh Aina († 536), un moine syrien qui traduisit du grec de nombreux ouvrages de médecine et de philosophie. On lui attribue par exemple des traductions de Galien (célèbre médecin grec) en syriaque, ainsi que des écrits d’Aristote. Sergius, tout comme Probus, était formé à la fois à la théologie et à la médecine, et joua un rôle de premier plan pour introduire la médecine grecque dans le monde syriaque.

  • Sévère Sebôkht (vers 575–667), évêque de Kennesrin en Syrie, est un autre grand savant syrien. Il s’illustra dans le domaine de l’astronomie et des mathématiques. Sévère écrivit un traité sur l’astrolabe (instrument astronomique permettant de modéliser le ciel) et commenta les constellationsfr.wikipedia.orgfr.wikipedia.org. Surtout, il fut le premier à mentionner en 662 l’usage des « chiffres indiens » : il s’émerveilla de ce système de numération décimal venu d’Inde, bien plus efficace selon lui que les méthodes grecques ou romaineshistoryofinformation.comorient-mediterranee.com. Cette remarque de Sévère Sebôkht est en fait la plus ancienne mention connue des chiffres “arabes” (d’origine indienne) hors de l’Inde – une preuve que les savants syriaques étaient à la pointe des innovations scientifiques de leur temps.

  • Giwargis (Georges) « évêque des Arabes » (v. 640–724), un érudit de la fin du VIIe siècle, a également contribué à transmettre le savoir grec jusqu’aux portes de l’ère islamique naissantefr.wikipedia.org. Son surnom d’« évêque des Arabes » reflète son rôle de pont entre la culture syriaque chrétienne et les populations arabes récemment islamisées : il œuvra, dit-on, à faire connaître la culture grecque aux Arabes, préfigurant les échanges intellectuels du siècle suivant.

Grâce à l’action de Probus et de ces autres traducteurs, un véritable corpus syriaque des sciences et de la philosophie s’est constitué entre le Ve et le VIIe siècle. Voici quelques exemples de domaines et d’œuvres grecques qui, à travers les traductions syriaques, ont pu être sauvegardés et assimilés :

  • Logique et philosophie : les traités d’Aristote sur la logique (Organon), dont l’Isagogè de Porphyre, le De l’Interprétation, les Catégories, les Analétiques, etc., ont été traduits ou commentés en syriaque (par Probus, Paul le Perse, Jacques d’Édesse et d’autres)gedsh.bethmardutho.orggedsh.bethmardutho.org. Ces textes offraient aux étudiants syriens une introduction systématique à la pensée rationnelle grecque.

  • Médecine : les écrits d’Hippocrate et surtout de Galien, fondements de la médecine antique, ont été traduits en syriaque à partir du VIe siècle. Des figures comme Sergius de Resh Aina ont rendu disponibles en syriaque des traités de médecine sur les remèdes, l’anatomie, la pharmacie, etc. Ce faisant, ils ont jeté les bases de la tradition médicale qui sera plus tard reprise par les Arabes. (On sait, par exemple, que la médecine arabe classique doit énormément aux traductions syriaques : nombre de textes médicaux grecs sont parvenus aux savants musulmans via des versions syriaques préparées par des chrétiens orientauxdefnat.com.)

  • Astronomie et mathématiques : les sciences mathématiques et astronomiques n’ont pas été négligées. Outre le traité de Sévère Sebôkht sur l’astrolabe et ses commentaires des constellations, les Syriens ont tôt fait de s’intéresser aux grands ouvrages grecs d’astronomie. L’Almageste de Ptolémée – la somme astronomique du IIe siècle – fut ainsi traduit en syriaque (puis en arabe) durant la période abbassidefr.wikipedia.org. Les traducteurs syriaques ont également véhiculé des éléments de mathématiques : par exemple, des traités d’Euclide ou d’Archimède furent plus tard traduits en arabe par des savants bilingues formés à l’école syriaquefr.wikipedia.org. Et bien sûr, l’adoption du système numérique décimal s’est en partie faite grâce à la transmission de la connaissance des chiffres indiens par les Syriens (comme l’atteste Sévère Sebôkht). En somme, des nombres aux étoiles, le ciel et les chiffres faisaient partie du savoir grec accessible en syriaque.

Cet énorme labeur de traduction a eu des conséquences incalculables. D’une part, il a sauvegardé le patrimoine scientifique grec à une époque où, en Occident, une partie de ce savoir risquait de disparaître. D’autre part, il a enrichi la culture syriaque elle-même, en la dotant de termes techniques et de concepts nouveaux. On voit ainsi des auteurs syriaques du VIIe siècle maîtriser aussi bien la théologie que la philosophie aristotélicienne ou les rudiments d’astronomie. Cette synthèse originale entre foi chrétienne et raison grecque a préparé le terrain pour la transmission aux cultures voisines. Car l’histoire ne s’arrête pas là : le relais va bientôt passer du syriaque à l’arabe, au cœur du monde musulman médiéval.

Du syriaque à l’arabe : Probus et ses successeurs, ponts vers la science arabe

Le travail accompli par Probus d’Antioche et les traducteurs syriaques de l’Antiquité tardive portera pleinement ses fruits à l’époque abbasside, quelques siècles plus tard. Au IXe siècle, le califat de Bagdad, sous des souverains éclairés comme le calife Al-Ma’mūn, se lance dans une vaste entreprise de traduction des ouvrages grecs en langue arabe. Or, pour réaliser ce projet titanesque, les savants arabes vont largement s’appuyer sur les trésors accumulés dans les bibliothèques syriaquesdefnat.com. Ce passage du grec au syriaque puis du syriaque à l’arabe – qualifié d’« acrobatie linguistique » par certains historiensdefnat.com – a été la clé de voûte de la transmission du savoir antique au monde islamique.

Concrètement, comment cela s’est-il passé ? Les califes de Bagdad ont fait appel à des érudits souvent issus des communautés chrétiennes syriaques pour traduire les textes grecs. Beaucoup de ces érudits étaient bilingues, voire trilingues : ils lisaient le grec, parlaient le syriaque et apprenaient l’arabe. Parfois, la traduction s’effectuait en deux temps : on réalisait d’abord une version syriaque d’un texte grec (si elle n’existait pas déjà), puis on traduisait cette version syriaque en arabe. Cela pouvait sembler fastidieux, mais cette étape intermédiaire syriaque s’avérait précieuse, car le vocabulaire philosophique et scientifique syriaque était déjà rodé et adapté aux concepts grecs, ce qui facilitait ensuite l’expression en arabedefnat.com.

Plusieurs membres de l’élite intellectuelle de Bagdad au IXe siècle étaient ainsi d’anciens élèves des écoles syriaques. Par exemple, le célèbre médecin et traducteur Ḥunayn ibn Isḥāq (809–873) – connu sous le nom latinisé de Johannitius – était un chrétien de langue syriaque formé à l’école de Gundishapur. Il maîtrisait à la perfection le grec et le syriaque, et c’est lui qui, avec son équipe, a traduit en arabe la plupart des œuvres de Galien (médecine) et de nombreux traités d’Aristote et de Plato. Hunayn explique même dans ses écrits qu’il procédait souvent ainsi : il réalisait d’abord une traduction syriaque d’un ouvrage grec, puis il la retraduisait en arabe pour en affiner le styledefnat.com. Cette méthode a assuré une grande fidélité aux textes originaux.

Un autre exemple frappant est celui de la famille Bakhtîshû‘ : ces médecins nestoriens, descendants de traducteurs syriaques, furent les médecins personnels des califes de Bagdad sur plusieurs générationsdefnat.com. Les Bakhtîshû‘, formés aux sciences grecques à travers la tradition syriaque, soignaient les souverains et contribuaient aussi aux traductions de traités médicaux. Leur présence au cœur du pouvoir abbasside témoigne de la confiance accordée aux savants d’héritage syriaque et de l’importance de cet héritage dans la construction de la médecine arabe. Comme le souligne un historien moderne, « la médecine arabe, justement réputée au temps des Abbassides, fut pour l’essentiel l’œuvre des Syriaques »defnat.com. En d’autres termes, nombre de médecins et traducteurs qui ont bâti la science arabo-islamique étaient debout sur les épaules de Probus et de ses pairs : ils se servaient des textes grecs que ceux-ci avaient déjà traduits ou commentés, ou bien ils s’inspiraient de leur terminologie.

Ainsi, sans la phase syriaque, la Renaissance scientifique de l’Islam au Moyen Âge n’aurait probablement pas eu la même ampleur. Les travaux de Probus d’Antioche, modestes en apparence (quelques commentaires de logique aristotélicienne en syriaque), prenaient tout leur sens dans cette grande chaîne de transmission. En traduisant Aristote, Probus a permis à la logique grecque d’être intégrée dans le cursus des écoles syriaques, puis transmise aux érudits arabes. De fil en aiguille, ses écrits ont contribué à ce que, quelques siècles plus tard, Averroès puisse commenter Aristote à Cordoue ou qu’Avicenne intègre la logique et la médecine grecques dans ses encyclopédies. C’est tout un héritage intellectuel qui s’est propagé : du grec vers le syriaque, du syriaque vers l’arabe, puis de l’arabe vers le latin (lorsque, aux XIIe–XIIIe siècles, les Européens traduiront à leur tour les savants arabes). Probus d’Antioche est l’un des maillons initiaux de cette formidable transmission multiculturelle.

Un héritage intellectuel durable et méconnu

En définitive, Probus d’Antioche mérite d’être reconnu comme un acteur-clef de la préservation du savoir antique. Son œuvre illustre de manière exemplaire comment, dans l’Antiquité tardive, des érudits ont su prendre le relais des Grecs pour que la flamme du savoir ne s’éteigne pas. Avec son double profil de prêtre et de savant, Probus a incarné le dialogue entre la foi et la raison : loin de voir un conflit entre les deux, il a mobilisé la culture grecque (logique, médecine…) pour enrichir la communauté syriaque chrétienne. Ce faisant, il a prouvé que la quête de la vérité est universelle et transcende les barrières de langue ou de religion.

Le ton pédagogue et curieux qu’on peut prêter à Probus transparaît dans sa démarche même. On l’imagine volontiers, penché sur ses manuscrits, expliquant en syriaque les subtilités d’Aristote à des étudiants qui n’auraient autrement rien compris au grec. Un peu à la manière des vulgarisateurs scientifiques d’aujourd’hui qui rendent accessible en français une théorie élaborée en anglais, Probus fut un vulgarisateur avant l’heure, adaptant le langage de la science à son public. Grâce à des passeurs de savoirs comme lui, les découvertes et idées ne sont pas restées confinées à un cercle restreint : elles ont voyagé à travers les langues et les siècles.

Il y a dans le parcours de Probus d’Antioche une leçon d’actualité : à l’heure où l’on promeut le libre accès à la connaissance et le dialogue des cultures, on peut voir en Probus un précurseur. Son travail, bien que réalisé il y a 1 500 ans, rappelle l’importance de traduire, de transmettre et de partager le savoir au-delà des frontières. Si la science grecque n’est pas morte avec l’Antiquité, c’est en partie grâce à des hommes comme Probus. Son nom est moins célèbre que celui de grands philosophes ou médecins, mais son impact sur la chaîne de la connaissance est bien réel. La prochaine fois que nous feuilletterons un livre de logique ou que nous penserons aux racines de la science médicale, nous pourrons avoir une pensée pour ce prêtre d’Antioche qui, humblement, a sauvé des livres de l’oubli en changeant leur langue, permettant à l’héritage grec de poursuivre son voyage jusqu’à nousfr.wikipedia.orgdefnat.com. C’est là un héritage à la fois durable et fascinant, témoin de l’unité de la quête du savoir à travers les cultures.

Sources : Probus est évoqué dans le Gorgias Encyclopedic Dictionary of the Syriac Heritage (entrée « Proba/Probus ») qui détaille ses œuvres et ses titresgedsh.bethmardutho.orggedsh.bethmardutho.org. La liste de traducteurs syriaques du Ve–VIIe siècle, incluant Probus, Sergius Resh Aina, Sévère Sebokht, figure dans un résumé historique sur Wikipediafr.wikipedia.org. Le rôle des Syriaques comme intermédiaires vers les Arabes est souligné par l’historien S. Gouguenheim defnat.com. Enfin, des éléments spécifiques sur les contributions de Sévère Sebokht (astrolabe, chiffres indiens) et sur la transmission de l’Almageste de Ptolémée proviennent respectivement de travaux cités par Wikipédiaorient-mediterranee.comfr.wikipedia.org. Ces sources concordent pour reconnaître en Probus d’Antioche un maillon essentiel de la grande chaîne de transmission des savoirs, de l’Antiquité grecque au monde arabo-musulman.

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